Verdier
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Cela se passait vers la fin d'un mois d'août. Nous étions proches d'un soir de pleine lune et la nuit, à cette date, ne semblait plus tout à fait la nuit. L'air était doux, bercé par quelques ombres végétales tandis qu'au loin des barques de pêcheurs tremblaient sur l'eau comme de petites étoiles frileuses.
Dans le vaste salon de la villa, j'avais remarqué une des toiles récentes de Pierre Soulages?; j'entends par là celles qui ne laissent plus au blanc la moindre chance de tirer un seul éclat, le moindre appui. Maintenant, le noir souverain est tout autant couleur que reflet, matière que vibration, conjugaison de l'apparence et de l'enracinement.
Et, comme surpris par mon propre discernement, je découvrais le lien fondamental, essentiel - ?de nature, devrais-je mieux dire ?- unissant l'oeuvre à la source des éléments. -
Jan Patocka nous propose un cheminement, une « tentative d'introduction aux questions générales d'orientation dans la situation présente du monde ». Remontant aux fondements spirituels de l'Europe et aux racines mêmes de la métaphysique, il met le thème platonicien du soin de l'âme en parallèle avec la méthode de la phénoménologie de Husserl et le questionnement renouvelé par la pensée de Heidegger.
Il s'interroge à la fois sur notre héritage et sur notre avenir. La fin de la philosophie est-elle possible ?
La philosophie - non pas celle qui s'est rendue tributaire de la science ou de la praxis révolutionnaire, mais celle des « hommes pris à la gorge par la nécessité vitale de s'expliquer avec la détresse fondamentale de la vie », l'aspiration vers la « vie bonne » dont l'Europe est issue -, n'est-elle pas à même de nous fournir, aujourd'hui encore, un appui et une arme contre le déclin ? N'y a-t il pas un autre « engagement » que celui qui, se cantonnant dans le domaine du quotidien, s'égare fatalement, victime de prophètes antithétiques ?
S'interroger sur le sens et les possibilités de la philosophie, c'est s'interroger sur le rôle qui pourra encore revenir à l'Europe dans l'histoire. Le message de Patocka est fait de lucidité et d'espoir.
Cette nouvelle édition est augmentée de notes complémentaires, ainsi que de deux textes inédits en français. -
Mythes, emblèmes, traces : Morphologie et histoire
Ginzburg Carlo
- Verdier
- Poche
- 7 Octobre 2010
- 9782864326175
Comment l'étude des procès de sorcellerie nous éclaire-t-elle sur les croyances populaires du Moyen Age? De quelle histoire se réclame l'histoire de l'art quand elle veut s'inspirer de l'oeuvre d'Aby Warburg ? Comment comprendre le destin d'une formule latine ente le XVIe et le XVIIe siècle ? Mais encore : l'oeuvre érotique de Titien est-elle susceptible d'une lecture iconographique ? Celle de Dumézil d'une lecture politique ? Et celle de Freud d'une lecture anthropologique ? En six chapitres Carlo Ginzburg a révolutionné l'art de l'enquête dont il donne une interprétation décisive dans le septième des essais qui composent ce livre: " Traces ".
L'historien invente ainsi un nouveau paradigme pour les sciences humaines - le " paradigme indiciaire ". On comprendra mieux, en lisant Ginzburg, ce que cherche l'historien et comment il le trouve. Ce que trouvent les hommes et comment ils le cherchent. "Mythes emblèmes traces", paru une première fois en français en 1989, était depuis longtemps épuisé. Cette nouvelle édition augmentée d'une postface permettra au lecteur de découvrir ou de redécouvrir, dans une version entièrement revue et mise à jour, ce classique de l'historiographie et des sciences humaines.
Les éditions Verdier publient simultanément un nouveau volet des enquêtes de Carlo Ginzburg: "Le fil et les traces".
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Essais hérétiques sur la philosophie de l'histoire
Jan Patocka
- Verdier
- Poche
- 1 Mars 2007
- 9782864324973
disciple de husserl, jan patocka (1907-1977) a rédigé au terme de sa carrière ce magnifique essai qui reprend le débat ouvert entre husserl et heidegger sur le thème de la liberté.
l'histoire peut-elle avoir un sens ? pour patocka, la philosophie qui a conduit à l'idéalisme a échoué dans sa prétention à saisir la subjectivité dans son rapport au monde, c'est-à-dire précisément ce qui fonde l'histoire. remontant aux origines de la philosophie européenne, il aborde alors les problèmes du choix, du souci de l'engagement, et de la violence. la charte 77 dont jan patocka fut le premier porte-parole, trouve ici une première tentative d'expression philosophique.
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Ce texte est un essai sur l'amour et le désir que les deux auteurs, comme en dialogue, nour- rissent d'une réflexion sur la doctrine d'Aver- roès concernant l'intellect.
D'un poème notoirement énigmatique de Guido Cavalcanti, premier ami de Dante, Giorgio Agamben propose une lecture « aver- roïste » qui souligne le caractère fantasmatique de l'expérience amoureuse et révèle jusqu'où porte l'intimité entre l'intellect et l'imagination.
Dans le même esprit, Jean-Baptiste Brenet s'intéresse à l'intrication radicale de la pensée, du désir et de l'image, dont il montre qu'elle doit paradoxalement s'abolir avant de reparaître ailleurs et autrement. Dans l'analyse de l'intel- lect d'amour, où l'homme fait diversement l'épreuve de sa propre puissance, poésie, philo- sophie et politique s'entremêlent.
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Le fil et les traces ; vrai faux fictif
Carlo Ginzburg
- Verdier
- Sciences Humaines
- 7 Octobre 2010
- 9782864326168
Juifs de Minorque et cannibales du Brésil, chamans et antiquaires, les romans médiévaux, Les Protocoles des Sages de Sion, la photographie et la mort, Voltaire Stendhal Flaubert Auerbach : tels sont, parmi tant d'autres, les sujets qu'on trouvera traités dans ce livre.
Chaque chapitre interroge quelques-unes des manières dont, au cours de plus de deux millénaires et demi, le vrai, le faux et le fictif se sont opposés et entrelacés. Leurs rapports changeants ne sont pas seulement au fondement de la connaissance historique : ils déterminent notre présence au monde.
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Soit l'événement qu'est le passage du désir à l'amour. Comment rendre compte de cette expérience subjective qui passe pour des plus communes, qui pourtant se révèle chaque fois et pour chacun la plus intense et singulière ? Que nous arrive-t-il lorsque nous nous risquons à l'érotisme, lorsque nous « faisons l'amour » ?
Paul Audi montre que nous ne nous contentons pas toujours de donner forme et sens à l'expression de la pulsion sexuelle et à l'exaltation du désir. Car s'ouvre parfois à nous la possibilité de ce qu'il appelle une érotique : l'appropriation inventive, aussi urgente que patiente, des codes de l'érotisme, à travers le jeu, le plaisir du jeu. Et ce qui, en effet, est en jeu explique l'exceptionnel engagement des partenaires : une transformation de soi au contact du désir de l'autre.
Cet essai se présente sous la forme d'une discussion fictive où un interlocuteur rythme et relance la réflexion et notre lecture. L'on a part ainsi pleinement à ce défi de penser ce qu'il arrive quand du désir vient la surprise de l'amour.
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Pourquoi - au moins dans le monde désenchanté " qui est le nôtre - l'être humain se sent-il porté à créer? Que cherche-t-il, que vise-t-il à atteindre en allant " au fond de l'inconnu pour trouver du nouveau "? Cette finalité est-elle d'ailleurs la même à toutes les époques, ou change-t-elle de visage au cours de l'histoire? Quelles différences y a-t-il entre créer et s'exprimer, mais aussi entre créer, produire, faire et oeuvrer? Quelles distinctions, au plan éthique, faut-il opérer entre créer et procréer? Si l'on a toujours le plus grand mal à " expliquer " l'acte créateur dans tous ses tenants et ses aboutissants, l'on petit quand même espérer en comprendre le ressort intime et secret en partant de la considération des enjeux qu'il met en branle.
Aussi la théorie " esth/éthique " dont ce livre trace les linéaments ne consiste-t-elle pas en une théorie générale de la création mais en une théorie de l'enjeu éthique auquel s'attache l'acte de créer dans le cadre de ce qu'il est convenu d'appeler la modernité occidentale. Dans ce contexte, et dans la perspective d'une intrication de l'éthique et de l'esthétique, l'acte de créer apparaît alors comme cet événement générateur et généreux, singulier et singularisant, vital et vivifiant, qui élève en plein coeur de la vie comme une protestation de survie, à tous les sens du mot " survie ".
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Recommencer ; notes pour une reprise
Mathieu Potte-Bonneville
- Verdier
- Philosophie
- 1 Mars 2018
- 9782864329725
Économiquement, l'heure est dit-on à la reprise, gouverner consisterait à remettre le pays sur ses rails - et s'opposer à ce que l'air du temps peut présenter d'intolérable exigerait dans l'instant de repartir au combat.
Mais que peuvent bien signifier ces verbes, reprendre, remettre, ou repartir ?
À quelles complications et à quelles hantises s'affrontent nos tentatives intimes ou politiques pour surmonter déceptions et défaites, doutes et empêchements, jusqu'à trouver la force d'agir à nouveau ?
Les philosophes se sont souvent penchés sur les premiers commencements de toutes choses ; on voudrait ici, en compagnie de penseurs et d'écri- vains, interroger plutôt les deuxièmes coups, les nouvelles fois, sonder leurs pièges et leurs promesses, et explorer l'expérience individuelle ou collective du recommencement comme on se recoudrait une éthique en guettant le retour des beaux jours.
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La vision des sages de la Grèce archaïque est sortie profondément transformée par la réflexion qu'a menée tout au long de sa vie Jean Bollack. Son ambition est ici de surmonter la fragmentation d'un poème exceptionnel que nous avons perdu. Il construit un ensemble avec des pleins et des vides à remplir. Le caractère initiatique de cet exercice de méditation facilite la tâche du déchiffrement ; tout s'y tient et le lecteur moderne peut se conformer à ses lois. L'analyse du langage prime. La pensée s'y libère et découvre un référent sûr. Une cosmologie s'y projette, des astres à la vie des hommes, de l'Etant au Monde, dont ce livre s'applique à dégager les correspondances.
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Je fantasme ; Averroès et l'espace potentiel
Jean-baptiste Brenet
- Verdier
- Sciences Humaines
- 2 Février 2017
- 9782864329091
Ce bref essai porte sur la notion oubliée de « cogitation » comprise comme activité fantasma- tique. On tâche d'y combiner trois éléments.
Il s'agit d'abord de raviver la notion médiévale de cogitatio, perdue, voire recouverte par la modernité depuis Descartes au moins. Cogiter, au Moyen Âge, ce n'est pas exercer son intellect ou sa raison, mais - sous l'influence certes de la rationalité - faire oeuvre d'imagination. Fantasmer, c'est agir sur les traces cérébrales produites en moi par mon expérience du monde.
Dans un deuxième temps, c'est le philosophe arabe Averroès qu'on place au centre du jeu.
L'Europe latine a fait d'Averroès l'ennemi du cogito, entendu comme principe de la rationalité.
Il fut pourtant le penseur génial de la cogitation, comprise comme intermédiaire ambigu entre les sens et l'intelligence.
Enfin, on mobilise la célèbre notion d'espace potentiel empruntée au psychanalyste Winnicott, pour dégager l'enjeu de cette doctrine. Ce qui rend cruciale l'idée qu'Averroès se fait de la cogitation, c'est sa thèse d'un intellect constitutif de l'individu qui ne serait originairement qu'un pur possible et dont l'actualisation, l'essor, le déploiement reposent entièrement sur la dynamique interne des fantasmes.
Le but du texte est d'esquisser quelques figures inédites de la médiation, à la fois intraperson- nelle et transindividuelle. Le génie d'Averroès est d'avoir conçu l'intelligence comme puissance indifférenciée et hors temps de l'humanité. Par le fantasme, tandis que l'individu se cultive, que dans son corps, son expérience perce, enfle, la puissance de l'intellect s'individue en lui, s'inter- nalise, entre dans l'histoire ; et la cogitation, pour tous, par tous, forme la scène où ce croisement, qui fait l'humanité, chaque fois se réactive et s'atteste.
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Court traité Tome 1 ; la politique des choses
Jean-Claude Milner
- Verdier
- 3 Février 2011
- 9782864326380
Depuis le XIXe siècle au moins, on en tombe d'accord : le gouvernement des êtres parlants est décidément une affaire trop sérieuse pour qu'on la confie aux êtres parlants.
Mieux vaudrait le confier aux choses. Elles se gouvernent toutes seules ; pourquoi ne gouverneraient-elles pas les hommes ? Le politique le plus sage serait alors celui qui explique ce que veulent les choses ; l'expert le plus sérieux se bornerait à traduire ce qu'elles disent silencieusement ; la stratégie la plus prometteuse se donnerait pour programme la transformation acceptée des hommes en choses.
Un mot résume ces croyances : évaluation. Longtemps anodin, il désigne aujourd'hui un ensemble de pratiques nouvelles et menaçantes. A chaque étape, l'évaluation met en place les procédures propres à instaurer l'absolu gouvernement des choses. Non seulement, elle saisit les hommes dans leurs activités extérieures évaluer les conduites, les résultats, les productions, mais elle prétend sonder les profondeurs de l'intime.
Aujourd'hui, on se prépare à évaluer les sujets comme sujets. A les frapper pour toujours du sceau de l'inerte. Plus radicalement qu'aucun de ses prédécesseurs, l'homme de l'évaluation est devenu chose, la dernière des choses, la plus passive d'entre elles, le jouet de toutes les forces qui passent. Il est question ici de la politique du siècle à venir.
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Benny Lévy a enseigné la philosophie durant une vingtaine d'années à l'université Paris VII. Cet enseignement a marqué l'ensemble de ses auditeurs par la puissance de la parole qui s'y déployait, revenait sur elle-même et, surtout, dialoguait avec tous ceux qui assistaient au cours. Celui-ci portait en général sur un ouvrage de la tradition philosophique que l'on s'efforçait de commenter, intégralement lorsque c'était possible, en s'arrêtant sur ses articulations essentielles si cela ne l'était pas.
Il s'agissait donc, pour Benny Lévy, de proposer une lecture des textes, lecture soumise à l'épreuve de l'exposition orale, et qui s'enrichissait d'être confrontée à des méprises, des résistances, des incompréhensions, des malentendus. Lecture vivante, en acte, dont l'auditeur était le témoin. Bien que les cours fissent l'objet d'une préparation très poussée, il parlait sans notes, déambulant dans la salle qu'il arpentait au rythme de sa pensée en train de se faire.
Sa voix, épousant les textes qu'il lisait, prenait brusquement de la vitesse lorsqu'il s'agissait de les commenter, ou s'éteignait durant de longues minutes tandis qu'il cherchait la formulation la plus juste de chaque avancée. Le cours revenait sans cesse sur certaines notions antérieures pour les préciser ou les corriger. De très nombreux cours furent consacrés aux dialogues de Platon, auxquels Benny Lévy revenait toujours, parallèlement à Hobbes, Spinoza, Philon d'Alexandrie, Sartre, Rousseau, Kierkegaard, Aristote, Kant, Marx, Hegel, Leibniz, Pascal, Descartes ou Schelling.
Nous avons pu retrouver un certain nombre d'enregistrements à partir desquels nous avons établi les textes. L'Alcibiade, considéré par Benny Lévy, à l'instar dos néoplatoniciens, comme la meilleure introduction à la lecture de Platon, est l'objet de ce cours dispensé en 1996 - année qui fut aussi celle de son départ pour Jérusalem.
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Le Phédon est un « dialogue extrême », qui nous montre un Socrate philosophant « en présence de la mort ». L'affirmation bien connue depuis, selon laquelle philosopher serait apprendre à mourir, empêche trop souvent d'entendre la tension à l'oeuvre dans le récit de la dernière journée de Socrate. Face à la mort, Socrate est vivant, on ne peut plus. Il rit, pense, se meut, frotte ses jambes, rassure les amis qui l'en- tourent, fait preuve d'ironie et d'humour ; plus que tout il parle.
Dans la lecture qu'il propose du Phédon, Benny Lévy prête une attention sans faille à ce que Platon donne à voir et à entendre de la posture socratique. Car, chez Platon, le savoir est insé- parable de la façon dont il se donne. Benny Lévy remarque ainsi que toutes les grandes articulations du dialogue sont scandées par des changements de position du corps de Socrate, de ce corps qui, bientôt, se raidira sous l'effet de la ciguë. Il se demande pourquoi Socrate chasse son épouse éplorée, dévastée par sa mort prochaine ; ou encore quel est le sens de ce rêve qu'il veut à tout prix interpréter à nouveau avant de mourir et qui l'invite à « composer » ou à « faire de la musique ». Sa lecture tient que les formules les plus abstraites et les plus théoriques ne sauraient, pour être comprises vraiment, être séparées de leurs significations existentielles, que c'est à cette aune qu'il faut en éprouver la pertinence. Complexe de ce fait, elle vise pourtant à retrouver la simplicité : « Lire, c'est redevenir simple, frôler la naïveté. Il faut beaucoup de ruses de lecture pour retrouver cette naïveté. » Le dialogue « extrême » appelle une lecture extrême, scrupuleusement soucieuse de la lettre du texte et qui tient qu'au coeur de cette lettre se donne toujours un au-delà : celui de la vie de la pensée.
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Marc Aurèle est aujourd'hui considéré comme un philosophe stoïcien à part entière, au même titre que Sénèque ou Épictète. Pierre Vesperini remet ici en cause cette « opinion commune » à partir d'un nouvel examen des écrits de l'auteur, notamment de passages souvent ignorés, croisés avec toutes les autres sources, exceptionnel- lement nombreuses, dont nous disposons à son propos. Conformément à une pratique courante dans l'Antiquité, Marc Aurèle utilise les « discours philosophiques » pour « rester droit », lorsque l'âme est ébranlée par les affects produits par le monde extérieur ou par le désé- quilibre des humeurs, notamment de l'humeur mélancolique.
Par ailleurs, l'auteur montre combien l'éthique ancienne est éloignée des conceptions de Pierre Hadot et de Michel Foucault. Le « soi » visé par les pratiques éthiques n'est pas un « soi » inté- rieur, mais un « soi » tout extérieur, entièrement soucieux du regard des autres, et de donner la plus belle image possible. La « droiture » ne consiste pas en l'adoption d'un « mode de vie » spécifique, mais au contraire en l'adoption d'un mode de vie le plus conforme possible aux attentes sociales, en fonction du statut de chacun. Enfin, l'éthique philosophique n'est jamais coupée du religieux, dans la mesure où « bien vivre », c'est « vivre avec les dieux ».
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Eternité et historicité apporte, au débat entre l'existentialisme et le marxisme sur l'idée de l'homme, une contribution qui aurait mérité de prendre place dès sa rédaction, en 1947, à côté de L'existentialisme est un humanisme de Sartre, la Lettre sur l'humanisme de Heidegger et Existentialisme ou marxisme ? de Lukacs.
Ce volume - un des très rares livres conçus par Patocka lui-même en tant que tels - porte l'empreinte des circonstances dramatiques dans lesquelles il a vu le jour : esquissé à l'ombre portée de la guerre à peine finie et des changements politiques alors imminents à l'Est, il s'inscrit dans le feu d'une polémique déclenchée par la publication du testament philosophique d'Emanuel Radl, principal élève du grand humaniste que fut T.
G. Masaryk. Le texte sera ensuite élargi, dans le prolongement du cours de 1947 sur Socrate, à un dialogue avec Scheler, Husserl, Heidegger, Sartre et Jaspers, mais il devra attendre jusqu'en 1987 pour connaître une première édition et vingt ans encore avant de paraître enfin sous sa forme intégrale. Illustration et défense de la possibilité d'une "éthique réellement historique", le texte se lit aujourd'hui comme une étape essentielle sur le chemin qui conduit au "socratisme politique" du propre testament de Patocka.
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Court traité Tome 2 ; pour une politique des êtres parlants
Jean-Claude Milner
- Verdier
- Philosophie
- 3 Février 2011
- 9782864326373
Pour qu'il y ait politique, il faut que les êtres parlants parlent politique.
À partir de là, on peut soulever diverses questions : depuis quand, comment, pourquoi parle-t-on politique ? Premier élément de réponse : la politique commence avec la découverte qu'un être parlant peut en asservir d'autres sans avoir besoin de les mettre à mort. Le langage peut suffire. Deuxième élément de réponse : la politique permet à des êtres parlants de vivre dans le même espace, sans avoir à s'entretuer.
Mais vivre, mourir, tuer, cela concerne le corps. Parler politique, c'est donc aussi une technique du corps. Cette technique n'existe pas partout et, là où elle existe, elle n'use pas partout des mêmes procédés. En Europe, de nos jours, parler politique, c'est discuter politique. La discussion politique est une coutume locale, dont il convient de restituer le système. Elle repose d'abord sur une croyance : il faut que celui qui ne décide pas fasse semblant de se mettre dans la position de quelqu'un qui décide.
De là un rapport essentiel au théâtre et à la mimétique. Toutefois, il serait insupportable à ceux qui discutent d'admettre qu'ils sont uniquement des mimes. Par chance, certains événements historiques semblent attester que ceux qui ne décident pas peuvent matériellement prendre la place de ceux qui décident. On parle alors de révolution. Prise entre mimétique et révolution, la discussion politique entre au labyrinthe.
Un mot historique peut servir de fil d'Ariane. On l'attribue à Napoléon, s'entretenant avec Goethe: " Que nous importe aujourd'hui le destin ? Le destin, c'est la politique. " Analyser ce mot, vocable par vocable, cela permet de construire une grille de déchiffrement. On peut alors sortir des mirages et commencer d'affronter, en être parlant, le réel de la politique.
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L'entretemps ; conversations sur l'histoire
Patrick Boucheron
- Verdier
- Sciences Humaines
- 1 Mars 2012
- 9782864326724
Quel est le problème ? On le dira ici simplement, tant est criante son actualité.
Il s'agit de trouver les lieux où peut se dire le politique. Non pas la parole instituée et instituante de la grande émotion révolutionnaire, mais celle, vibrante, efficace pour chacun, qui cheminera librement dans nos vies. Car elle s'énonce partout, sauf là où elle s'annonce comme politique.
Face aux textes, devant l'image, il faut pour la saisir s'adonner à quelques exercices de lenteur.
Faire comme eux, les trois philosophes. Trois hommes d'âge différent, qui méditent, qui commentent et qui espèrent. Ils prennent la mesure de la diversité du monde, tandis que le jour faiblit. Mais qui sont-ils ? Giorgione a peint la succession des âges comme une énigme.
Alors tentons de les faire converser, depuis le pli du temps qu'ils occupent, arrêtés là, désoeuvrant le cours glorieux des siècles, dans l'entretemps.
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Au moment où, sous la pression des événements, des tensions que l'on n'apercevait pas s'exacerbent et où chacun est requis de remettre sur le métier ses habitudes de pensée et les cadres à partir desquels il appréhendait jusqu'alors le monde, il importe d'interroger ses propres appartenances, ses attachements et ses fidélités. Il importe autrement dit de repenser l'épreuve du collectif.
Que signifie pour un sujet son insertion dans un groupe ? Qu'y gagne-t-il ? Qu'y perd-il ? De quelle nature les groupes dont nous faisons partie sont-ils ? Sur quels partages reposent-ils ?
Dans ce questionnement, la réflexion de fond, patiente, rejoint une certaine actualité, brûlante. Qu'est-ce qui peut être commun à des êtres différents ? À quelles conditions existe-t-il même quelque chose de « commun » ? Ce livre cherche à répondre à ces questions en distin- guant groupe et collectif, conformisme et aristo- cratisme, guerre et conflit, ennemi et adversaire et en cherchant dans l'étude les linéaments d'un autre mode d'être-ensemble.
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Au nom de l'universel, la plupart des philo- sophes font abstraction de notre ancrage local : ils appréhendent l'homme comme être au monde en général, comme être-là. C'est pourtant toujours dans des lieux particuliers que nous nous trouvons, avec leurs contingences topographiques, historiques et matérielles : c'est toujours ici que nous sommes là.
Mais qu'est-ce qu'un lieu, et qu'est-ce que la philosophie peut en dire ? En mobilisant notam- ment la géographie, la littérature, la sociologie et l'histoire, pour comprendre cet objet négligé de la philosophie occidentale, Étienne Helmer montre combien les lieux sont bien plus que les simples cadres physiques de nos existences : tout à la fois matrices identitaires et formes événe- mentielles, ils engagent le rapport politique que les individus et les groupes entretiennent avec l'universel dans ses aspects théoriques et pratiques.
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Paul, ou Saül de Tarse, ou saint Paul?; par la puissance spéculative et la vigueur du verbe, le vrai fondateur du christianisme. Jeune, c'était un Hébreu, citoyen de Rome. À Jérusalem, il fut l'élève du plus grand des maîtres, Rabban Gamliel. Zélateur farouche, persécuteur des nazaréens, il connaissait la Loi juive (Torah), et l'observait scrupuleusement. Mais sa ferveur cachait mal une inquiétude grandissante ; la crise éclata sur la route de Damas, puis ce fut la révélation. Paul avait vingt-cinq ans. De persécuteur, il devint l'apôtre de l'Église le plus ardent. En une dizaine d'épîtres, il posa les fondements du christianisme.
Nourri de culture hébraïque, spécialement pharisienne, parlant grec, Paul livre un texte souvent obscur, presque étrange, comme si l'hébreu, par une pression souterraine, en défigurait le sol. Son discours sur la Loi (Torah), crucial et si moderne, en est un exemple, mais encore ses doctrines de la mort et de la résurrection, et de la grâce. Par nombre d'obscurités, Paul de Tarse est demeuré mal compris. Dans notre essai, nous avons voulu, par-delà des siècles de théologie et d'études néo-testamentaires, remonter à la source?; la source pharisienne, le Midrach et la Michna. Nous nous sommes gardés autant que possible des erreurs rétrospectives et nous nous sommes, pour ainsi dire, transportés jusqu'à lui sans bagages. Qu'avons-nous découvert?? Que la crise était grave et profonde, qu'elle était la crise de la conscience pharisienne?; et nous avons pris la mesure de la dissidence de Paul à l'égard de Moïse, de son puissant désir d'arrachement à la religion. Nous avons découvert combien l'enjeu messianique fut et demeure, non seulement au coeur de l'histoire occidentale, mais encore au coeur de tout véritable humanisme.